D, comme démocratie.

Je suis issue d’une lignée militante. Ma grand-mère dans les JOC, mon grand-père à l’origine de l’Alliance des professeurs de Montréal, mes parents au RIN – puis ma mère au RCM, au Parti Vert, au PQ…

J’ai fréquenté l’école secondaire à l’heure des grands déchirements constitutionnels et des débats sur la place du français dans l’espace public. La fin de semaine, nous, on manifestait.

C’est en 1993 que je suis entrée en militance, tout juste après Charlottetown, à temps pour la première élection du Bloc Québécois. Puis ça a été septembre 1994 et l’élection du PQ, le référendum de 1995, le Bloc en 1997… Jusqu’au début des années 2000, j’ai donné le plus clair de mon temps et des mes énergies à de grandes causes.

Puis la vie a passée.

Si je crois encore que mon coin de pays a tout ce qu’il faut pour assumer lui-même son destin, si l’originalité et la singularité de sa culture ne font pas de doute, je crois un peu moins en son émancipation politique.

Parce que je crois de moins en moins en ceux qui portent ce projet.

Parce que je crois de moins en la politique partisane.

Je ne suis pas défaitiste pour autant. Je crois de plus en plus, et ce depuis des années, à une action politique qui s’inscrit dans ces gestes de micro-citoyenneté qui sont partout : les comités de parents, les groupes communautaires… Mais aussi, cette citoyenneté qui s’inscrit dans toutes ces actions spontanées ou semi-organisées, souvent adhoc, qui façonnent nos paysages : les croque-livres, les ruelles vertes, les comités d’accueils… les campagnes de socio-financement autour d’événements locaux… Et même, ces communautés qui se tissent autour de valeurs fortes : le zéro-déchet, la remise en forme, le végétarisme…

Bref, je crois que notre façon d’être au monde et d’agir sur lui a changée. Partout, les centres d’action se sont déplacés, le militant à laissé sa place au citoyen. Nous en avons tous, consciemment ou pas, pris acte.

Tous, sauf les institutions politiques qui, encore aujourd’hui, nous servent d’institutions démocratiques.

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Mes convictions n’ont pas beaucoup changé depuis ce jour de juin 1993 où, alors que Kim Campbell était couronnée chef du Parti Conservateur, je devenais présidente des jeunes péquistes de l’Estrie. Je suis toujours autant émue par la solidarité sociale, je tiens autant à tendre la main à mon prochain, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, je suis toujours aussi attachée à mon coin de pays, et je veux encore plus qu’avant protéger ma planète.

Si mes valeurs n’ont pas changé, ma façon de les exprimer, elle, a changée. Parce que c’est dans l’air du temps, je le fais hyper-localement, en changeant de voiture, en souscrivant à une campagne de socio-financement pour une amie que le sort a frappé, en encourageant mon orchestre local, en m’engageant bénévolement pour la promotion de la sécurité nautique.

Bien entendu, si je peux manifester ainsi ce qui est important pour moi, c’est que la structure sociale le permet – une structure sociale mise en place au fil des ans grâce au travail d’hommes et de femmes qui ont eu des idées, les ont mises de l’avant, les ont incarnées, puis implantées.

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Aujourd’hui, ce sont les élections.

Parce que je viens d’une longue lignée de militants, parce que je reconnais tout le travail fait avant l’avènement de ma petite personne, et parce que je sais que de ce labeur est née la liberté que j’ai aujourd’hui d’exprimer mes valeurs comme je le sens, je suis allée voter.

Mais parce que notre façon d’être au monde et d’agir sur lui a changé, je suis allée voter la mort dans l’âme. Si cela avait eu un quelconque poids, j’aurais annulé mon vote.

Je ne pouvais pas.

Alors parce que je dans ma pratique de ma citoyenneté, je fais tous les jours des actions pour sauver la planète, aller vers l’autre et renforcer les solidarités, j’ai voté Québec Solidaire.

J’espère que c’est la dernière fois que je vote la mort dans l’âme.  J’espère que la prochaine fois, le vote blanc comptera ; qu’une part de proportionnelle sera mise en place ; que la politique sortira des partis ; qu’on recommencera à nous présenter des projets plutôt que des mesures.

Je m’en retourne préparer mes cours – j’ai le monde à changer, moi, et ça se fait une petite action à la fois.

Allez voter. Même la mort dans l’âme. Pour qu’un jour, on recommence à voter la tête haute.